La dame aux cigarettes

Qui est la dame aux cigarettes ?

Il m’est apparu que ce n’est pas très gentil de ma part de vous parler d’une personne que vous ne connaissez pas. L’intérêt d’une conversation est singulièrement limité si après m’avoir dit « j’ai croisé x », vous ne m’en dites pas plus sur x ou sur l’intérêt de cette rencontre.

La dame aux cigarettes… Un des personnages mythiques de notre quartier. Il y a aussi La Chouette (que nous n’entendons plus depuis quelques mois) et Madame Claude. Je ne suis pas très amie avec cette dernière, qui m’appelle pourtant « mon chou » avant de m’insulter. Passons…

La dame aux cigarettes porte sa soixantaine d’années sous diverses couches de vêtements usés et trop grands pour elle. Ses cheveux d’un blanc jaunâtre s’échappent en mèches épaisses d’un chignon mal serré. Elle erre dans les quelques rues d’un pâté de maisons en quête de fumeurs potentiels. Nul ne sait exactement où elle habite. Pas très loin sans doute. Je l’imagine bien dans cet immeuble, au même étage que la propriétaire du berger allemand soumis. Elle oublie parfois que le chien a peur des cris, des coups aussi sans doute, et s’approche pour le caresser, en s’étonnant systématiquement du mouvement de recul de l’animal.

La dame aux cigarettes n’a pas l’air très riche. Elle serre dans sa main émaciée quelques piécettes de 1 ou 2 centimes. Elle les propose à l’échange contre un « bâton de nicotine ». Elle a peut-être ramassé ces pièces dans la rue, entre deux déchets que les fouilleurs de poubelles n’ont pas ramassés. Ou le propriétaire du bar du coin les lui cède contre la tranquillité de ses clients.

Elle n’est pas méchante. Pas une once d’agressivité en elle. Surtout un regard perdu. Et cette quête qui la pousse dans les rues à toute heure. Jusque dans la nuit, affublée d’une robe de chambre. Elle oublie qu’elle a déjà demandé, ne sait plus très bien où elle va. Elle me fait un peu pitié. Un peu peur aussi, sans doute, car on ne sait jamais quelle idée peut traverser un esprit égaré.

Régulièrement, je la croise, et elle me quémande une cigarette. Dans ces moments-là, je sors mon chien, et ne porte même pas de sac. Juste mes clés dans une main, et la laisse dans l’autre. Et puis, je ne fume pas.

Cette semaine, elle m’a rencontré deux fois sans me demander autre chose que le nom de mon chien. Commencerait-elle à me reconnaître ?